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 Les Inassouvis, 2018. Tous droits réservés.

Un hôpital psychiatrique a récemment ouvert ses portes en plein Paris. Ses patients, comme Alberto, Léon ou Matka, vous accueilleront dignement, avant de vous faire entrer dans une folle farandole. Là-bas, qu’ils soient patients, visiteurs ou infirmiers… tout le monde est fou.

Quand on vous parle d’art contemporain, vous vous hérissez. Ça se comprend. C’est une culture à part, assez spéciale, et très certainement pas à la portée de tout le monde. Et pourquoi pas ? Hier soir, on a vécu une expérience qu’on n’oubliera probablement jamais. Alors que, croyez-nous, on est bien loin de regarder Arte le soir.

La première chose à constater lorsque l’on entre dans cette antre mystique, c’est la lumière tamisée qui nous plonge dans une ambiance obscure. Aux murs, des portraits et tableaux. Des mannequins sont éparpillés dans l’espace, vêtus tels des gothiques. Et des objets, dont on ne comprendra l’utilité que plus tard.

L’accueil n’en sera pas moins chaleureux. L’équipe du lieu vous attend dans un bar cosy, avec une grande terrasse extérieure. On vous y propose d’attendre tranquillement le début de la pièce. Jusqu’à ce que deux gardes militaires d’apparence allemande surgissent au pas en hurlant, faisant leur ronde.

Alerte, on les aurait suivi d’instinct si on ne nous avait pas rassuré et invité à rester en place. Parce qu’à partir de cet instant, nous faisons désormais, nous aussi, partie de la pièce. Débarque alors une bande de fous à lier, qui nous prennent par la main et nous entraînent dans ce qui deviendra une danse éternelle.

Ce qui se passe derrière les portes de la salle de représentation reste secret. Pour le découvrir, il faut se rendre au Théâtre Elizabeth Czerczuk, où se joue la pièce Les Inassouvis. Dans cet asile moderne inspiré des écrits de l’auteur polonais Stanislaw Ignacy Witkiewicz, vous deviendrez fou. Personne n’échappe au joug de ses occupants, qui vous feront rire, pleurer, danser…

Cette mise en scène d’Elizabeth Czerczuk traite de bien des troubles émotionnels. Enfance, famille, amour, solitude, ivresse et mort s’entremêlent pendant ces quelques heures. Comme le sentiment d’être bloqué dans le cerveau d’une seule et même personne, que l’on apprend à connaître et parfois même à comprendre. Avant de céder à sa propre folie.

On vous recommande chaudement d’aller constater par vous-même l’ambiance du théâtre, et vivre ce triptyque impressionnant. Un moment hors du temps, hors de la réalité

 Lucas Javelle, Le Bonbon Nuit, 18 novembre 2018

ARTISTES À LA FOLIE

Artistes à la Folie

Au T.E.C, proche Place de la Nation, Elizabeth Czerczuk sonde la face la plus noire de l’âme humaine dans Les Inassouvis, spectacle baroque et chorégraphié. 

Elizabeth Czerczuk aime le théâtre qui ose et creuse dans les tréfonds de l’âme humaine. Sous l’influence de ses maîtres spirituels, Jerzy Grotowski et Tadeusz Kantor, la comédienne et metteuse en scène polonaise le prouve à nouveau avec Les Inassouvis. En fait, cette pièce est composée de Dementia Praecox 2.0, Matka et Requiem pour les artistes, spectacles présentés séparément lors des dernières saisons au Théâtre Elizabeth Czerczuk. Dans le premier, où l’on parle notamment de la souffrance de l’artiste, on croise des personnages, aux yeux exorbités, gestes convulsés et à la démarche de zombies. Habillés dans ce qui ressemble à des camisoles de force, ils tentent d’échapper à leur condition dans un mouvement ultra chorégraphié.

POUPÉES DÉSARTICULÉES

Car le spectacle, où s’entrechoquent les langues et les rires désespérés, n’est pas seulement un cri ou une plongée dérangeante dans la folie, c’est également un ballet impressionnant de poupées désarticulées.

Celles-ci dansent sur une musique aux accents des pays de l’Est (mais pas que) et invitent le public à y prendre part. Dans le second segment à peine plus apaisé, on retrouve le personnage de Matka, une mère manipulatrice, inventée par le dramaturge Stanislaw Ignacy Witkiewicz (1885-1939), auteur pionnier de la modernité artistique en son pays. Cette femme-monstre a engendré Léon, un fils ingrat et artiste raté. Dans des costumes gothiques, Elizabeth Czerczuk incarne cette mère éplorée, noire puis blanche, comme dans un dernier sursaut de pureté.

« JE SUIS UNIQUE »

Requiem pour les artistes, dernier et impressionnant volet, jette un pont entre le passé et le futur. Avec leurs lourdes valises, les vivants et les morts se retrouvent dans un purgatoire, conséquence de leur existence dissolue. Chacun rêve de s’émanciper et de briser ses chaînes. « Je suis unique », écrit l’un des personnages, comme pour prouver son humanité pleine et entière. Là encore le spectacle, davantage chorégraphié et physique, fait dans le tourbillon mélancolique, hypnotisant et l’uppercut émotionnel. Une radicalité baroque et tragique qui n’exclut jamais. Bien au contraire.

On vous recommande chaudement d’aller constater par vous-même l’ambiance du théâtre, et vivre ce triptyque impressionnant. Un moment hors du temps, hors de la réalité

Magali Hamard, L’Officiel des Spectacles, 14 novembre 2018

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