L’ART DU THÉÂTRE
Aux sources de l’inspiration
Le théâtre d’Elizabeth Czerczuk a plusieurs sources d’inspiration. La créatrice est sensible aux concepts du théâtre total de Jerzy Grotowski et d’Antonin Artaud. Un autre fondement de son univers vient du théâtre d’Edward Craig. Dans sa démarche artistique, elle s’appuie sur la théorie de la «forme pure» de St.I.Witkiewicz et sur la recherche de la forme de W. Gombrowicz. Ses spectacles ne sont pourtant pas les adaptations des pièces de ces auteurs. Inspirée librement, Elizabeth Czerczuk cite parfois des fragments de leurs textes pour développer ses propres créations, car les images, les symboles et les mythes nourrissent une vision artistique spécifique.
Celle-ci se place d’abord dans la lignée de C. Stanislavski, de V. Meyerhold, mais aussi elle plonge dans la pensée philosophique de M. Merleau-Ponty, ou celle d’E. Levinas, et elle s’abreuve de C. G. Jung. Elle trouve un point commun dans leur réflexion: c’est d’abord la constatation que la souffrance et le mal sont inhérents à la condition humaine. Les différentes formes de la pensée symbolique permettent à l’homme de supporter son destin tragique.
La catharsis, cette invention des Grecs anciens, est selon elle le moyen important qui permet à l’homme de se purifier de ses angoisses et des mauvaises émotions. Cependant, tout en reconnaissant les acquis de l’art performatif, Elizabeth Czerczuk ne partage pas certaines de ses pratiques crues et brutales. Elle considère que le théâtre doit réveiller les émotions et les pensées positives, parfois conduire vers le processus de la catharsis aristotélicienne. D’après elle, ce processus consiste à se purger à travers l’expérience de la beauté, d’une émotion positive.
«Pour moi, dit Elizabeth, l’art est lié à la beauté scénique et de la psyché humaine. Si je n’étais pas fascinée par la richesse physique et spirituelle de l’homme, je n’aurais pas éprouvé le besoin de création. Je trouve que les pratiques artistiques dégradantes font mal à la nature. De là mon désaccord avec certaines performances contemporaines. Je considère qu’aujourd’hui le spectateur a besoin de l’art qui non seulement le touche émotionnellement, mais aussi agit sur tous les sens, réveille le sentiment esthétique et le soulage.» Elizabeth Czerczuk s’inspire de Santayana qui considère la beauté comme un élément émotionnel et notre plaisir.
« La catharsis, dit-elle, à travers mon théâtre, doit réveiller ses sentiments. C’est son rôle thérapeutique et consolateur. Enfin, je suis aussi sensible à l’esprit dionysiaque. Les fêtes et les excès ponctuels aident l’homme à se purger de ses craintes et de ses angoisses. Grâce à cela, notre vie devient plus légère. C’est pourquoi, dans mes spectacles, je fais souvent appel à l’ambiance de la jouissance festive et à celle du carnaval. J’invite mon public à participer à la fête. »
La nouvelle forme du théâtre
Elizabeth Czerczuk élabore une nouvelle forme de théâtre visant à élargir la pensée, une priorité vitale de notre temps, à bouleverser le public, à susciter l’expression émotionnelle. Dans sa conception de l’art, les frontières n’existent pas, bien au contraire, les spectacles se nourrissent de la mixité des diverses sensibilités et mentalités, susceptibles d’apporter le nouveau souffle dont le théâtre a besoin en permanence.
« À la place du mot Pologne, mettez Argentine, Canada, Roumanie, etc. et vous verrez mes propos (et mes souffrances) s’élargir jusqu’à une bonne partie du globe », écrivait Witold Gombrowicz.
Dépasser les préjugés pour aller à la rencontre d’autrui, à la rencontre de modes de vie et de modes d’expression différents, est un défi. Pour trouver le salut, celui des arts, il faut concevoir le théâtre en faisant appel à l’ensemble des récepteurs sensoriels. Le théâtre devient alors accessible à tous.
Ses créations et ses spectacles suivent – moyennant des détours – les chemins tracés par J. Grotowski et T. Kantor. Comme l’exprime Odilon Redon, il s’agit de mettre «la logique du visible au service de l’invisible». Elizabeth Czerczuk compare son travail à celui d’un peintre. À l’instar de Jérôme Bosch, chaque acte est pour elle un tableau dont les scènes sont liées par un personnage ou un thème transversal. Ses créations résultent de cette recherche esthétique. Elles ont vocation à être à la fois baroques et minimalistes, et à effet cathartique. Avec ses spectacles, elle vise à remettre en question les conventions culturelles pour que chacun s’y retrouve et éprouve une émotion unique.
Dans cette conception, l’Art Total et l’Art Conceptuel ne s’affrontent plus sous formes de principes antinomiques, mais se complètent et cohabitent dans un espace-temps réinvesti par le public. En sollicitant à la fois l’intelligibilité et la sensibilité de chacun, Elizabeth Czerczuk provoque une communion entre les comédiens et les spectateurs pour créer une nouvelle forme théâtrale en action.
Pour y parvenir, il lui semble essentiel de revenir aux sources du théâtre à travers la catharsis. Elle suit l’impératif profond de dévoiler les vérités cachées qui nous encombrent par la lente dissolution ou par l’éclatement de ce que nous croyons réel. Son «laboratoire» doit être sans cesse en mouvement, s’actualiser, chercher de nouveaux moyens de représentation. Elle considère qu’une des missions des artistes est d’explorer le champ de la pensée en unissant toutes les formes d’expression artistique.